
Ce vendredi, les électeurs sont appelés à ratifier par référendum la nouvelle Constitution marocaine. Un texte approuvé par presque tous les partis, mais rejeté par les jeunes contestataires.
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Actualité Monde
Par Dominique Lagarde, publié le 01/07/2011 à 07:00 , mis à jour le 23/11/2011 à 15:45
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A Casablanca, de nombreux partisans du roi, "spontanément" descendus dans la rue, tentent d'empêcher une manifestation menée par des contestataires.A Casablanca, de nombreux partisans du roi, "spontanément" descendus dans la rue, tentent d'empêcher une manifestation menée par des contestataires. AFP/Abdelhak Senna
Ce vendredi, les électeurs sont appelés à ratifier par référendum la nouvelle Constitution marocaine. Un texte approuvé par presque tous les partis, mais rejeté par les jeunes contestataires.
Révolution de velours? Ou démocratie en trompe-l'oeil, comme l'affirment les jeunes contestataires du Mouvement du 20 février? Les Marocains sont appelés à ratifier par référendum, ce vendredi 1er juillet, la nouvelle Constitution du royaume. Elaborée par une commission d'experts nommés par le souverain, elle fait du Maroc une monarchie parlementaire, tout en préservant les missions régaliennes du roi, qui garde la haute main sur la défense, la sécurité intérieure et la diplomatie. Et reste "commandeur des croyants".
Le monarque devra désormais choisir un Premier ministre issu du parti arrivé en tête aux élections législatives. Ce chef du gouvernement, responsable devant le Parlement, pourra dissoudre la Chambre des représentants, une prérogative réservée jusque-là au souverain. Ce rééquilibrage des pouvoirs au profit d'un gouvernement issu des urnes et du Parlement, qui devient l'unique source de législation, était réclamé par la rue, mais aussi, de très longue date, par une partie de la classe politique. L'Union socialiste des forces populaires, le grand parti de la gauche gouvernementale, en avait fait son cheval de bataille depuis le début des années 1960, refusant, jusqu'en 1996, de voter toutes les réformes constitutionnelles proposées par Hassan II. La vieille garde avait finalement accepté de mettre cette revendication sous le boisseau, mais le débat avait été relancé au tout début du règne de Mohammed VI par l'aile gauche du parti. Le roi avait répondu, alors, qu'il n'entendait renoncer à aucune de ses prérogatives...
Le monarque reste le vrai maître du jeu
Dans le nouveau texte, le monarque demeure cependant un acteur important du pouvoir exécutif et restera sans doute, dans la pratique, le vrai maître du jeu. Il préside le Conseil des ministres, "au sein duquel sont déterminées les grandes stratégies de l'Etat", un tout nouveau Conseil de sécurité, ainsi que le Conseil supérieur du pouvoir judiciaire. Plus que de la monarchie espagnole ou britannique, les constitutionnalistes marocains se sont inspirés de la Constitution française en organisant un exécutif bicéphale. A cette différence près que, à Paris, le chef de l'Etat tient son pouvoir des urnes, pour une durée limitée. Celui du Maroc est un monarque héréditaire!
Les partisans du Mouvement du 20 février veulent un roi qui "règne sans gouverner" et une "véritable séparation des pouvoirs".
La réforme de l'exécutif était attendue. En revanche, Mohammed VI n'avait donné aucune indication de ce qu'il était prêt à accepter s'agissant de ses prérogatives religieuses. L'une des dispositions de l'actuelle Constitution sur le caractère "sacré" de la personne du roi faisait ces derniers mois l'objet de vives critiques: moquée dans les manifestations, elle était dénoncée aussi par une partie de la presse, après avoir servi de prétexte à l'interdiction, en juillet 2009, d'un sondage sur la popularité du roi.
Douze années d'ouverture
1999 Le 30 juillet, intronisation. Alors que son père, Hassan II, s'y est toujoursopposé, le plus emblématique des opposants, Abraham Serfaty, regagne le royaume, le 30 septembre, après huit années d'exil en France, précédées de dix-sept ans de détention au Maroc.
2004 Le 5 février, entrée en vigueur du nouveau Code de la famille: celle-ci est placée "sous la responsabilité conjointe des époux"; le divorce est un "droit exprimé par l'époux et l'épouse".
2004 Le 30 avril, le souverain annonce une "restructuration du champ religieux", destinée à faire reculer l'extrémisme. Une femme fait son entrée au Conseil supérieur des oulémas.
2005 Le 30 novembre, l'Instance équité et réconciliation, établie deux ans plus tôt par décret royal, remet son rapport final : près de 10 000 victimes de toutes les répressions depuis l'indépendance seront indemnisées par l'Etat.
2011 Le 3 mars, création d'un Conseil national des droits de l'homme, qui peut être directement saisi par les citoyens. Un débat sur la peine de mort est prévu.
2011 Le 1er juillet, référendum sur une réforme de la Constitution, qui, notamment, renforce les pouvoirs du Premier ministre. Les contestataires du Mouvement du 20 février jugent le projet insuffisant et appellent à boycotter le scrutin.
Dans la nouvelle Constitution, la personne du roi demeure "inviolable", mais elle cesse d'être "sacrée". Le souverain reste "commandeur des croyants" et assure à ce titre "la protection de la foi et des fidèles" et "le libre exercice des cultes" - la mouture initiale, qui reconnaissait la "liberté de croyance", a été amendée à la demande des islamistes du Parti justice et développement ainsi que les conservateurs de l'Istiqlal, la formation du Premier ministre.
Mohammed VI a compris que le Maroc ne resterait pas à l'écart du "printemps arabe" et qu'il devait reprendre l'initiative plutôt que de laisser la contestation s'enliser. Mais il a peut-être sous-estimé le désir de changement des jeunes. Bien accueillie par la quasi-totalité de la classe politique - à l'exception de l'ultra-gauche -, la nouvelle Constitution n'a pas convaincu les contestataires du Mouvement du 20 février, qui ont appelé à boycotter les urnes ce vendredi 1er juillet. Eux veulent un roi qui "règne sans gouverner" et une "véritable séparation des pouvoirs" garantissant l'indépendance de la justice.
Nombre d'entre eux, aussi, ont été agacés par la façon dont le Palais a géré l'annonce du référendum. L'un des sympathisants du Mouvement raconte ainsi le "déferlement" dans les rues de la capitale, aussitôt le discours achevé, d'une "armée d'applaudisseurs" vêtus de tee-shirts en faveur du "oui"... Reste que le pouvoir, qui s'était engagé à ce que les partisans du "non" puissent s'exprimer dans les médias, a tenu parole.
"Il y a beaucoup d'amertume et de déception chez les "févriéristes", souligne Ali Amar, cofondateur du Journal, titre phare de la presse indépendante des années 1990. Auteur, en 2009, d'un ouvrage très critique sur le règne de Mohammed VI (1), le journaliste dénonce une réforme qui "grave dans le marbre les zones grises du pouvoir royal" en pérennisant plusieurs organes consultatifs créés ces dernières années par le souverain, dans les domaines des droits de l'homme, du développement économique ou de la lutte anticorruption. Un véritable "cabinet de l'ombre", accuse Ali Amar.
"Des partis à la fois déconsidérés et timorés"
Homme d'affaires et militant associatif, Karim Tazi est lui aussi de ceux qui, dès le début, ont pris publiquement fait et cause pour le Mouvement du 20 février. Aujourd'hui, s'il reconnaît que le texte proposé contient des "avancées", il confie son "extrême scepticisme" pour une démocratisation "octroyée" après un débat "bâclé". "La réforme, souligne-t-il, consacre un rapport de forces entre une monarchie populaire et des partis à la fois déconsidérés et timorés. Elle est timide sur la séparation des pouvoirs, décevante sur d'autres points tels que l'indépendance de la justice et de la Cour constitutionnelle. Mais le plus inquiétant, c'est le contexte. Le comportement des autorités vis-à-vis des animateurs du Mouvement du 20 février fait douter de la sincérité de leurs intentions."
Composé de nombreux courants, le Mouvement du 20 février est né, dans la foulée du printemps tunisien, à l'initiative d'utilisateurs de Facebook. Ces jeunes se découvrent alors une conscience politique. Ils appellent à manifester pour plus de démocratie et de transparence, sans jamais toutefois demander la fin de la monarchie. Deux autres forces vont rapidement les rejoindre: des groupuscules d'extrême gauche, plus ou moins fédérés autour de l'Association marocaine des droits humains (AMDH), et les islamistes d'Al Adl Wal Ihsane.
Le référendum divise les jeunes. Toutefois, même ceux qui veulent que les réformes aillent plus loin ne réclament pas la fin de la monarchie.
Les premières manifestations dans les grandes villes du royaume sont pacifiques et festives. Dignité, liberté, justice: les slogans sont les mêmes qu'en Tunisie ou en Egypte. Les islamistes brandissent des corans, les berbéristes le drapeau amazigh... Le 9 mars, le roi annonce son intention de réformer en profondeur les institutions. Les manifestations se poursuivent dans plusieurs villes, en avril et les mois suivants, sans pour autant retrouver l'ampleur des marches du 20 février ou du 20 mars.
Encouragées par cet essoufflement, les autorités cherchent à siffler la fin de la récréation, d'autant plus que l'emprise de l'extrême gauche et des islamistes sur le mouvement, au sein duquel ils semblent avoir acquis une position dominante, les inquiète. La répression se fait plus brutale, notamment les 15, 22, et 29 mai - au Maroc, on manifeste le dimanche - à Casablanca, Tanger et Rabat. Après l'annonce du référendum par le souverain, les "févriéristes" ne désarment pas. Mais ils n'ont plus le monopole de la rue, que tentent d'occuper à leur tour des contre-manifestants "pro-roi".
Mohammed VI est-il en passe de gagner son pari? Si l'issue du vote du 1er juillet ne fait guère de doute, le taux de participation, dans les grandes villes en particulier, sera un premier indicateur. "Ensuite, souligne l'universitaire Pierre Vermeren, auteur de plusieurs ouvrages (2) sur le Maghreb, cela dépendra de ce qui se passera dans la région. Si les élections en Tunisie et en Egypte sont réellement démocratiques, ou si le mouvement révolutionnaire gagne l'Algérie, après la chute de Kadhafi en Libye, alors l'automne pourrait être chaud au Maroc. Dans le cas contraire, les choses se calmeront sans doute, sauf si la situation économique se détériore."
Mohammed VI ne manque pas d'atouts. La légitimité de l'institution monarchique n'est pas mise en cause au Maroc, sauf à la marge par une poignée d'extrémistes. Douze ans après son accession au trône, en juillet 1999, le roi reste un souverain populaire. Ses nombreux déplacements sur le terrain pour lancer des projets de développement ou s'enquérir de leur suivi sont appréciés. Les Marocains lui savent gré aussi d'avoir poursuivi la politique d'ouverture politique amorcée par son père. Même si, ces dernières années, le tempo des réformes paraissait s'essouffler et les motifs de frustration s'accumulaient, du manque d'imagination de la classe politique à l'impunité de certains courtisans.
La monarchie trop impliquée dans le monde de l'entreprise
Le "printemps marocain" traduisait aussi, comme dans les autres pays, une aspiration à plus de transparence et de justice. Certes, deux des proches du roi, régulièrement conspués dans les manifestations - Fouad Ali el-Himma, accusé de mainmise sur le champ politique depuis qu'il a parrainé la naissance du Parti authenticité et modernité, et Mohamed Mounir el-Majidi, le secrétaire particulier du souverain, réputé pour son affairisme -, ont été discrètement recadrés.
L'affairisme de l'entourage du roi (à commencer par son secrétaire particulier, Mohamed Mounir el-Majidi, au centre de la bannière) enflamme la rue.
Mais que deviendra, dans les faits, la volonté affichée - y compris dans le texte constitutionnel - de combattre la corruption, le clientélisme et les pressions exercées sur la justice? L'implication de la monarchie dans le monde de l'entreprise - la famille royale possède des pans entiers de l'économie du pays - est ouvertement critiquée dans le royaume.
"Le roi et tous ceux qui l'entourent doivent s'abstenir de faire des affaires afin de ne pas risquer d'entrer en concurrence avec les opérateurs économiques, estime Noureddine Ayouch, publicitaire, militant associatif... et ami du souverain. La gestion de la fortune du monarque par un fonds d'investissement, sans intervention directe de sa part, est une bonne solution. Entre la politique et les affaires, les membres de son entourage, eux aussi, doivent choisir. Ils peuvent, sans conflit d'intérêt, investir dans des fonds."

"Les Marocains ont conscience de vivre un tournant historique"
Jean-Noël Ferrié, directeur de recherche au CNRS à Rabat, revient pour LEXPRESS.fr sur la réforme constitutionnelle annoncée par le roi Mohamed VI et sur l'accueil que la population lui a réservé.
via : www.lexpress.fr

Plusieurs milliers de manifestants ont répondu à l'appel du Mouvement du 20 février et ont défilé dans les grandes villes du Maroc, notamment à Casablanca pour dénoncer le projet de réforme constitutionnelle présenté vendredi par le roi Mohammed VI.Plusieurs milliers de manifestants ont répondu à l'appel du Mouvement du 20 février et ont défilé dans les grandes villes du Maroc, notamment à Casablanca pour dénoncer le projet de réforme constitutionnelle présenté vendredi par le roi Mohammed VI. REUTERS/Macao
Jean-Noël Ferrié, directeur de recherche au CNRS à Rabat, revient pour LEXPRESS.fr sur la réforme constitutionnelle annoncée par le roi Mohamed VI et sur l'accueil que la population lui a réservé.
Quel accueil les Marocains ont-ils réservé aux annonces du roi Mohammed VI?
La réaction générale que j'ai pu observer ici est très favorable. La réforme constitutionnelle accroît les libertés et les Marocains ont conscience de vivre un tournant historique.Voir le Maroc avancer sur une voie plus libérale et démocratique, plus vite que les pays de la région, leur procure aussi une certaine satisfaction nationaliste.
Pourtant, de nouvelles manifestations ont eu lieu ce dimanche, à l'appel du Mouvement du 20 février.
Certes, ce mouvement rassemble quelques milliers de manifestants à chaque rendez-vous, mais il ne représente pas toute la société marocaine. Il était opposé à la démarche même des modifications constitutionnelles annoncées le 9 mars dernier. A mon avis, ces manifestations ne peuvent pas bloquer le processus, il y a un consensus trop large dans la population pour cela. Ce qui est à craindre en revanche, c'est une surenchère et des violences. Ce risque existe.
Quelles sont les principales avancées constitutionnelles?
J'en vois trois, qu'il est difficile de ne pas saluer! D'abord, une séparation des pouvoirs originale qui renforce la position de chef du gouvernement. Celui-ci sera issu du parti vainqueur des élections législatives comme dans un système parlementaire. Le roi pourra le nommer mais pas le démettre. Et ce "Premier ministre" dispose d'une vraie arme de contrainte: il pourra dissoudre lui-même le Parlement, une prérogative qui n'appartenait qu'au roi auparavant.
Le roi du Maroc Mohammed VI a décidé de réduire ses pouvoirs dans le cadre d'une réforme constitutionnelle très attendue dont il a présenté les grandes lignes dans un discours à la nation vendredi.
Le roi, lui, conserve des pouvoirs d'arbitrage importants, mais pas scandaleux. Je dirais qu'il ressemble un peu au président de la Ve République française, de 1958 à 1962. Il garde la main sur les nominations de hauts fonctionnaires, il peut demander au Parlement une deuxième lecture d'une loi adoptée, il reste chef des armées et dirige un nouveau "Conseil supérieur de sécurité" nationale auquel sont associés le gouvernement et le parlement. Son rôle de Commandeur des croyants ne s'applique plus qu'au domaine religieux, alors qu'on accusait son père de l'utiliser à des fins politiques également.
Enfin, cette nouvelle Constitution offre de nombreuses garanties sur le plan des droits humains : l'islam reste religion d'Etat mais la liberté de conscience est indirectement reconnue par référence aux conventions internationales, l'égalité des hommes et des femmes est affirmée, etc. En outre, le Conseil constitutionnel composé de membres politiques laisse la place à une Cour constitutionnelle, juridiction de magistrats, que les citoyens pourront saisir s'ils considèrent qu'une loi contredit le texte fondamental. La possibilité d'un référendum d'initiative populaire est aussi offerte.
Sur quels points serait-il envisageable d'aller encore plus loin, comme le demande le Mouvement du 20 février? Quels éléments, au contraire, ne peuvent en aucun cas bouger?
Il n'y a pas de raison ni de nécessité d'aller plus loin au niveau de la Constitution. Le travail d'approfondissement des libertés peut se faire avec les outils que la nouvelle Constitution prévoit. La question du pouvoir d'arbitrage et de la Commanderie des croyants me semble impossible à modifier car l'équilibre institutionnel serait profondément remis en cause.
Un référendum est prévu pour le 1er juillet. N'est-ce pas un peu rapide, alors qu'à l'inverse, dans la région, la Tunisie et l'Egypte reculent leurs échéances électorales?
Il faut avoir un temps de débat dans un climat positif. Au Maroc la réforme a lieu sans crise politique, à l'inverse de ces deux pays. Mais vous savez, personne ne lira le texte en entier de toute façon... Personne ne lit les textes en détail. Et il est important aussi que ce vote se tienne en juillet, avant le ramadan en août, puis les élections législatives prévues à l'automne, et les lois organiques qui permettront d'appliquer les points introduits par la réforme constitutionnelle.
Pensez-vous que les autres pays touchés par le "printemps arabe" pourraient s'inspirer du nouveau texte marocain?
Très certainement. Il aura une influence sur les constituants tunisiens, qui ne peuvent ignorer les avancées réalisées ici. Dans le cas égyptien, c'est plus difficile : il faudra compter avec les Frères musulmans qui n'auront pas la même position sur certains droits. Quant à l'Algérie, la presse minimise ce qui se passe au Maroc, El Watan dit que la révision est minime, mais c'est une réaction défensive dans un pays peu démocratique: la Constitution marocaine y exercera une influence, quoi qu'en disent les partis.
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